Colloque L’Europe « en désastré visage » ? Calamités, désastres et catastrophes à la Renaissance (Appel)

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Pôle « Europe et Renaissance »

Paris, 7-8 novembre 2024

 

Organisateurs : J. Goeury (Littérature française), N. Le Roux (Histoire) et E. Lurin (Histoire de l’art)

Propositions de communication à renvoyer aux organisateurs pour le 1er mars 2024.

julien.goeury@sorbonne-universite.fr

emmanuel.lurin@sorbonne-universite.frnicolas.le_roux@sorbonne-universite.fr

 

Souvent célébrée pour ses innovations, ses progrès de l’esprit et ses grandes « découvertes », la Renaissance européenne fut aussi une période de conflits, d’épidémies massives, de conquêtes aux conséquences néfastes. Ces événements dramatiques, dont on conserve de multiples témoignages, n’ont pas toujours été pris en considération par les chercheurs. En interroger la définition, la perception et la représentation à la Renaissance, permet de revisiter un certain nombre de paradigmes, en des temps où la démultiplication des catastrophes, désormais planétaires, nous oblige à un sursaut de conscience et de réflexion sur leurs origines historiques.

Synonymes de souffrance, de destruction, d’une mort imminente ou assurée, les catastrophes sont des phénomènes de très grande ampleur dont la violence peut affecter, bouleverser et parfois anéantir toute une communauté humaine. Elles saisissent d’effroi les contemporains et laissent des traces durables dans les mémoires collectives. Le lexique de la catastrophe, les formes de discours et les images que ce type d’événement suscite seront étudiées dans leurs différentes déclinaisons européennes.

On sait que le mot « catastrophe » apparaît brièvement en latin au XIIe siècle. En français moderne, il s’affirme au XVIe siècle dans un usage savant, d’abord appliqué au théâtre selon la poétique aristotélicienne. Son sens actuel ne se fixe qu’à partir du XVIIIe siècle où le concept désigne désormais un événement, un objet de réflexion mais aussi de contemplation esthétique [A.-M. Mercier-Faivre et Ch. Thomas, 2008]. À la Renaissance, les termes de « désastre » ou de « calamité » sont plus couramment employés pour désigner des troubles généraux et de nature très variée.

Dans un premier temps, il s’agira d’étudier ces drames souvent assimilés à des caprices de la nature – tremblements de terre, inondations, incendies, éruptions, tempêtes et naufrages – ainsi que des épisodes majeurs de famine ou de maladie – lèpre, peste, vérole, etc. Sur le continent européen mais aussi par-delà les mers (Afrique et Amérique notamment), ces catastrophes ont pu affecter massivement les populations et entraîner des effondrements démographiques. Viennent ensuite les catastrophes humaines, celles qui engagent des responsabilités individuelles ou collectives et qui sont liées généralement à des conflits : guerres, défaites et déroutes, sacs de villes, insurrections, mais aussi massacres religieux, pogroms et génocides.

Il s’agira ensuite d’inscrire ces catastrophes dans différents registres de temporalité, de causalité ou d’interprétation, en tant qu’on les annonce (prophéties, mises en garde, iconographie apocalyptique), qu’on les vit (témoignages) et qu’on les inscrit dans une mémoire collective (enquêtes, récits, images imprimées). Les réactions face au chaos des catastrophes seront étudiées dans leurs différentes manifestations (émotionnelles, intellectuelles ou artistiques), tout comme les interprétations variées, et parfois contradictoires, que l’on a pu donner à la Renaissance aux événements les plus tragiques. Effroi, dégoût, mélancolie, révolte, mais aussi volonté de comprendre ou de justifier l’ampleur de phénomènes dont beaucoup dépassent la mesure humaine. De quoi (ou de qui ?) les catastrophes sont-elles le signe pour leurs contemporains ? Comment et jusqu’à quel point ont-elles été prises en charge, parfois dénoncées, souvent instrumentalisées par le discours religieux, la philosophie politique, l’imaginaire artistique, etc. ?

Une perspective demeure, qui nous offre aussi l’occasion d’interroger l’histoire à l’aune de problématiques plus contemporaines : l’évitement de la catastrophe et les formes de prévention, individuelle ou collective. Rétablir, conserver, soigner et même étendre l’ordre du monde, espérer en un retour de l’Age d’or – monde idéal, préservé du mal et sans catastrophes – ne sont-ils pas des traits dominants de la première modernité européenne ? La Renaissance a-t-elle été traversée par une conscience plus aiguë des catastrophes (passées, présentes ou à venir) ? L’affirmation de grands Etats, les réformes administratives, les innovations techniques, les progrès de la géographie et de la médecine ont-ils amélioré les politiques de prévention et parfois facilité l’administration des catastrophes ? En définitive, l’humanisme européen n’aura-t-il été qu’un idéal, ou aura-t-il contribué activement à alerter, préparer et sensibiliser les esprits ?

 

 

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