Le Cellf (Centre d’étude de la langue et des littératures françaises) est une unité mixte de recherche de Sorbonne Université et du CNRS (UMR 8599).
Un « pays incognu à ce grand Ptolomée ». Telle est la destination de Jean de Léry,
lorsqu’il quitte le port de Honfleur en novembre 1556 pour rejoindre l’éphémère colonie française
installée dans la baie de Rio. Le réformé et quelques autres – de plus en plus nombreux au fil des
siècles – empruntent de nouvelles voies maritimes, rencontrent les Tupinamba, peuple
insoupçonné des Anciens, observent leurs coutumes d’une radicale étrangeté, évoluent au
contact d’une faune et d’une flore inédites. Mais avec l’Histoire d’un voyage, c’est aussi un autre
pays inconnu, ou plutôt un territoire longtemps laissé à l’écart par les autorités, qui se présente
au lecteur : le récit de voyage. Bénéficiant de l’extension des frontières de l’objet dit
« littérature », ce genre sans règle ou « sans loi » n’est encore qu’une jeune addition au sein du
canon littéraire. L’inscription du récit de Léry aux programmes des concours d’enseignement –
plus de vingt ans après sa première entrée dans le corpus de préparation à l’agrégation – semble
confirmer sa place au rang des textes canoniques. Si l’on se réjouit de l’intérêt critique et
institutionnel que suscite l’Histoire d’un voyage, celui–ci n’en réduit pas pour autant la singularité
de cette œuvre.
Les études réunies dans ce numéro témoignent d’une attention renouvelée pour ce texte
à la lumière de perspectives de recherche récentes (écocritique, histoire des émotions, écriture
des sensations, etc.). Elles révèlent aussi à quel point Léry a réussi à saisir sur le vif les réalités
brésiliennes. Si le récit de voyage est parfois rattaché à la littérature d’évasion ou perçu comme
une invitation à la rêverie sur les lointains, l’Histoire d’un voyage semble plutôt tendre au lecteur
un miroir permettant d’observer et d’éprouver le réel, jusque dans ses dimensions les plus crues.
Cannibalisme de par–delà, anthropophagie de par–deçà, navigations infernales… les épisodes les
plus tragiques sont rapportés en détail par le voyageur. Quant aux plaisirs brésiliens, c’est grâce
à une remarquable sensibilité que Léry les partage et les fait vivre par l’écriture.
