Entretien avec Aurélia Cervoni

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Aurélia Cervoni

Interview d’Aurélia Cervoni, docteure, ingénieure d’études au CELLF 19-21, à propos de l’édition critique de Philothée O’Neddy, Feu et Flamme et autres textes, Honoré Champion, 2022

Feu et Flamme a été publié à compte d’auteur en 1833. Dans son introduction, l’éditrice, Aurélia Cervoni, présente le contexte dans lequel s’inscrit son auteur, Théophile Dondey (Philothée O’Neddy est un anagramme), romantique frénétique, ardent défenseur de Victor Hugo et membre d’une « camaraderie » constituée en « Petit Cénacle », que fréquentent également Théophile Gautier et Pétrus Borel. C’est à ces derniers que l’éditrice a consacré ses précédentes études (voir fiche membre). Auteur méconnu de son vivant – outre des poèmes, il a publié quelques chroniques dramatiques – la postérité n’accordera à Dondey que quelques regards discrets.

 

Vous êtes chercheuse et ingénieure d’études au CELLF. Cette édition s’inscrit dans la continuité de vos travaux sur les poètes appartenant au Petit Cénacle. Pouvez-vous situer votre parcours de recherche concernant ces auteurs ?

J’ai consacré ma thèse à la réception critique de l’œuvre de Théophile Gautier (Théophile Gautier devant la critique, Classiques Garnier, 2016). En enquêtant sur la réception de ses premières œuvres – un recueil de poésie, Albertus (1832) et un recueil de contes, Les Jeunes-France (1833) –, je me suis intéressée au milieu que fréquentait Gautier dans les années 1830-1833, et en particulier au Petit Cénacle, un groupe de jeunes artistes et de jeunes poètes, parmi lesquels Nerval, Pétrus Borel (dont j’ai également étudié la réception : Pétrus Borel, SUP, 2020) et Théophile Dondey. L’œuvre de ce dernier est confidentielle. Il garde des contacts avec Borel jusqu’en 1842, mais on perd sa trace assez vite.

Vous êtes également une spécialiste de Baudelaire : certains critiques prêtent à Philothée O’Neddy  des accents baudelairiens, est-ce que vous confirmez ?

On peut dire en effet que Feu et Flamme est un recueil pré-baudelairien. Un poème de Philothée O’Neddy s’intitule Fragment premier. Spleen. D’autres, comme Nuit quatrième. Nécropolis, ou Nuit sixième. Succube, puisent dans un folklore macabre hérité du romantisme allemand et du roman gothique anglais, comme du reste, les poèmes de jeunesse de Théophile Gautier et de Pétrus Borel. Baudelaire reprendra ces motifs plus tard dans Les Fleurs du Mal : dans Les Métamorphoses du vampire, par exemple, ou dans Danse macabre. Nous n’avons pas la preuve que Baudelaire ait lu Feu et Flamme, mais c’est très probable.

Pourquoi une édition critique de Feu et Flamme ?

Feu et Flamme n’avait pas encore fait l’objet d’une édition scientifique. Il n’a été réédité qu’une seule fois, en 1926, avec quelques notes. Quand j’ai découvert ce recueil, il m’a semblé plus abouti d’un point de vue formel que les Rapsodies de Pétrus Borel et Albertus de Gautier, qui datent de la même période. Les vers de Feu et Flamme sont élégants et travaillés. Valery Larbaud en admirait l’architecture et les comparait à ceux de Boileau et de Racine, ce qui peut surprendre ! Feu et Flamme est en effet traversé de réminiscences de la forme classique. Mais la fantaisie romantique y est très présente : Théophile Dondey était un fervent admirateur des Odes et ballades et des Orientales de Victor Hugo. La Nuit première. Pandaemonium, qui romance les discussions animées du Petit Cénacle, présente, indépendamment de ses qualités littéraires, un intérêt historique et documentaire. Car on sait peu de choses de ce groupe littéraire et de son romantisme bohème…

Il m’a semblé important, par ailleurs, de donner en annexe quelques documents qui éclairent le contexte dans lequel Feu et Flamme a été composé et sa réception : d’autres poèmes de Théophile Dondey, et en particulier sa traduction de la Lénore de Bürger, des lettres, des articles de presse.

« Jeunes France », « Bousingots », membres du Petit Cénacle, pouvez-vous préciser ces appellations qui concernent les artistes de cette époque ?

La question a fait l’objet de plusieurs articles érudits. La distinction entre Jeunes France et Bousingots n’est pas claire !

Le terme bousingo ou bousingot, est fortement connoté. Il désignait par métonymie les Volontaires du Havre, coiffés d’un long chapeau pointu (le bousingot), venus à Paris prendre part aux journées de Juillet 1830. Il était employé essentiellement dans les journaux conservateurs, dans un but satirique, pour railler l’exaltation des étudiants romantiques.

Dans une lettre qu’il adresse à Charles Asselineau en 1867, Théophile Dondey dénonce l’amalgame entre Bousingots et Jeunes-France, entre républicains et romantiques. Selon lui, les Jeunes-France formaient une élite artiste et non politisée.

Quant au Petit Cénacle, il s’agit d’un groupe littéraire qui se réunissait dans l’atelier du sculpteur Jehan Duseigneur. Les étiquettes « Jeunes France » et « Bousingots » ne lui correspondent que de manière très imparfaite.

Il est également question des lycanthropes : vous nommez Dondey « l’autre lycanthrope ».  À quoi cela fait-il référence ?

La lycanthropie est l’étendard de la dissidence. Le lycanthrope – homme-loup ou loup-garou – est un cynique à l’état sauvage, en rupture avec la société. Pétrus Borel était surnommé « Le Lycanthrope », précisément. Dans les Rapsodies (1831) et dans Champavert, contes immoraux (1833), il dénonce la nature malfaisante de l’homme et le poids de l’édifice social. Il est profondément réfractaire à l’ordre issu de la monarchie de Juillet. Le préambule de Feu et Flamme et la Nuit première témoignent du même esprit contestataire, voire vindicatif à l’égard de la société. Le titre même du recueil fait référence à une expression courante au XIXe siècle, jeter feu et flamme : « être très irrité, s’emporter violemment ».

Quelle a été la réception de Feu et Flamme et de l’œuvre (brève) de Dondey en général ?

Presque nulle du vivant de l’auteur : Feu et Flamme ne semble avoir suscité que deux comptes rendus en 1833 ! La postérité rend un peu justice à Théophile Dondey dans les années 1860-1870, notamment grâce à un poète Parnassien, Armand Silvestre, dont il fait la connaissance dans les bureaux du ministère des Finances (l’un des articles de Silvestre est reproduit en annexe de l’édition). En avril 1872, Théophile Gautier consacre à son ancien camarade un portrait, qui sera recueilli un peu plus tard dans l’Histoire du romantisme. Quelques notices nécrologiques paraissent à la mort de Dondey en 1875. En 1877 et 1878, son ami d’enfance, Ernest Havet, recueille ses œuvres inédites dans deux volumes, qui feront l’objet de quelques recensions.

Il serait intéressant d’éditer la correspondance de Dondey qui est conservée à la BnF, dans les archives d’Ernest Havet. Une petite partie en a été éditée mais il reste beaucoup à faire.

Les critiques qui sont consacrées à Dondey décrivent un poète empreint de byronisme. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Théophile Dondey érige le satanisme byronien en modèle esthétique. Le début de la Nuit septième, sous-titrée Dandysme, est une adaptation libre de la première partie de Parisina (1816). D’une manière générale, Feu et Flamme est émaillé d’allusions à l’œuvre du poète anglais, à Don Juan et à Childe Harold en particulier. La lycanthropie est aussi un héritage de Byron, qui fait rimer philanthropy, misanthropy et lycanthropy au chant IX de son Don Juan.

L’époque est politique. Dondey est très admiratif de Victor Hugo qu’il soutient. Y a-t-il une dimension politique dans son œuvre ?

Malgré ses revendications libertaires et anticonformistes dans le préambule de Feu et Flamme et dans la Nuit première, Théophile Dondey n’était pas n’était pas un militant. Il est de ce point de vue plus proche de Gautier, qui affirme dès la préface d’Albertus, en 1832, l’indépendance de l’art, que de Borel, qui cultive, dans les Rapsodies, un lyrisme révolutionnaire.

Un texte surprenant figure dans le recueil parmi les documents, intitulé « Ameublement des Jeunes France ». Pouvez-vous expliquer ce choix ?

Il appartient à une série de sept textes satiriques parus dans le Figaro, sur les excentricités des Jeunes France. On a pu y voir une allusion à l’atelier de Jehan Duseigneur, où se réunissait le Petit Cénacle. Il rappelle le bric-à-brac romantique dépeint dans la Nuit première : mobilier exotique, curiosités archéologiques, et le fameux bol de punch, qui est un objet emblématique du Petit Cénacle.

Poursuivriez-vous les recherches sur le poète ou d’autres de cette époque ?

J’envisage de rééditer une autre œuvre de Théophile Dondey, un conte d’inspiration gothique, L’Histoire d’un anneau enchanté, publié en 1842 (accessible sur Gallica). Le prologue, en vers, figure en annexe dans l’édition de Feu et Flamme, car c’est une pièce qui se situe dans le prolongement du recueil. Ce conte méconnu a fait l’objet d’une traduction en anglais en 2019.

Je travaille par ailleurs actuellement à l’édition des Œuvres complètes de Baudelaire qui paraîtra l’an prochain dans la Bibliothèque de la Pléiade : j’ai le plaisir d’éditer une partie de la critique littéraire de Baudelaire et Le Spleen de Paris. Je codirige en outre un chantier d’édition numérique de la correspondance de Baudelaire.


Expérience sonore

Lecture par Aurélia Cervoni de « Nuit seconde – Névralgie » de Philothée O’Neddy

 

Texte

I.

Jusques à mon chevet me poursuit mon idée
Fixe : toutes les nuits j’en ai l’âme obsédée.
Pour noyer au sommeil ce démon flétrissant,
Des sucs de l’opium le charme est impuissant.

Au seuil de mon oreille, une voix sourde et basse
Comme l’essoufflement d’un homme qui trépasse
Murmure : Pauvre fou ! sois d’airain désormais.
Elle ne t’aimera jamais – jamais – jamais !…
Alors, tout frissonnant, je saute de ma couche ;
Autour de moi je plonge un long regard farouche ;
Et je vais saccadant mes pas….. et dans mon sein
Le terrible jamais vibre comme un tocsin !
Et puis, d’un vent de feu l’haleine corrosive
Vient courber, torturer mon âme convulsive :
Et je me persuade en mon fébrile émoi,
Que, dans l’alcôve, on parle, on rit tout bas de moi !…

II.

Ce vertige à la fin tombe….. et je sens mon être
S’anéantir : – j’ai froid – et, devant ma fenêtre,
Je vais m’asseoir ; le plomb d’un stupide repos
Emmantèle mes sens : à travers les carreaux,
D’un œil horriblement tranquille, je contemple

La lune qui, juchée au faîte du saint temple,
Semble, sous le bandeau de sa rousse clarté,
Le spectre d’une nonne au voile ensanglanté.

III.

Oh ! si, comme une fée amante de la brise,
La MORT sur un nuage avec mollesse assise,
Descendant jusqu’à moi du haut de l’horizon,
Venait pour piédestal élire ce balcon !…
Mon œil s’arrêterait ardent sur son œil vide,
Je l’emprisonnerais dans une étreinte avide,
Et, le sang tout en feu, j’oserais apposer
Sur sa bouche de glace un délicat baiser !

(1829)

 

Entretien réalisé par Pascale Langlois, ingénieure d’études en édition et communication, CELLF.

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